L’avis du psy
la chronique de Suren :
Comme nous pouvons tous l’observer depuis quelques années, le monde du travail en France a été profondément bouleversé.
Dans cette chronique, nous allons essentiellement nous intéresser aux facteurs sociologiques et aux conséquences sur les rapports entre individus dans l’entreprise, et plus particulièrement les rapports hiérarchiques et les effets induits sur la psychologie consciente ou inconsciente.
Tous les psychothérapeutes observent une augmentation sans précédent, des dépressions et tentatives de suicides directement imputables à des degrés de souffrance extrême vécue au sein des entreprises.
On peut faire 2 grandes observations à ce stade pour apporter un éclairage sur ces phénomènes :
La quasi-disparition de l’activité industrielle a entraîné un recentrage de notre économie sur une activité beaucoup plus virtuelle. Cela entraîne en parallèle la fin d’un mode de fonctionnement pourtant fondamental dans nos rapports humains. En effet, s’il n’existe plus de produit finis, comment évaluer le travail ? Sur quels critères objectifs ? Comment mesurer la performance sur du virtuel ? Si on évalue facilement la performance d’un individu à la qualité du travail qu’il a produit et surtout si on peut en constater le résultat physiquement. Qu’en est-il dans une économie virtuelle ? On peut sur ce point admettre que l’évaluation des individus est devenue nettement plus floue.
Parallèlement, est apparue une nouvelle catégorie de managers, fondée sur des diplômes et des compétences d’habiles communicants, voir presque des talents de politiciens. Si dans le monde du travail industriel que nous connaissions précédemment, on s’élevait socialement par la preuve de son travail et de ses compétences. Le monde du travail virtuel a fait voler en éclat ce mode de fonctionnement, créant ainsi un malaise et un décalage assez profond entre subordonné et manager. Le manager n’étant plus obligatoirement un individu qui a préalablement fait la preuve de sa compétence.
Nous pouvons décrire quelques uns des effets secondaires engendrés par cette nouvelle donne :
Tout d’abord, l’ascenseur social ne fonctionne plus !
Les subordonnés stagnent et subissent une hiérarchie exprimée par des gens qui ne sont plus forcément issus du secteur d’activité de l’entreprise, qui ne possèdent pas forcément la culture et la spécificité de l’entreprise.
Tout ceci concoure à une perte de repères, qui mécaniquement engendre une perte de légitimité des manageurs aux yeux des subordonnés.
On touche au cœur du problème, car la perte de légitimité entraîne un profond dysfonctionnement des rapports entre les individus avec des conséquences dramatiques sur l’économie des entreprises mais aussi la psychologie de chacun.
Si le subordonné ne donne plus de légitimité à son manager, celui-ci éprouve aussi ce manque, même inconsciemment.
En ce sens, il se sent en danger permanent et consciemment ou non, il suppose que son subordonné peut le remplacer et se sent sous la menace d’un possible « coup d’état » qu’on pourra appeler syndrome d’imposture.
Et plus le subordonné va maitriser son travail, faire preuve de talent et plus il va être perçu comme dangereux.
Tout ceci concoure à un climat de plus en plus délétère dans les entreprises. La crise ne faisant qu’amplifier le phénomène en renforçant le sentiment d’insécurité.
Dans ces circonstances, le manager « illégitime », va consciemment ou inconsciemment commencer à minimiser le subordonné talentueux, exercer des pressions psychologiques pour qu’il ne soit plus une menace pour lui.
Ce phénomène n’a rien de marginal, cela devient même un vrai phénomène de société qui finit par anéantir toutes les bonnes volontés.
Notre société a engendré malgré elle, un nouveau crédo « Si vous réussissez, vous devenez inquiétant et même dangereux »
C’est une injonction contradictoire qui ne peut conduire inévitablement les individus et les entreprises dans une impasse majeure.
Car si on demande aux subordonnés d’être performants, comment celui-ci peut-il trouver le bon équilibre entre pas assez et trop performant ?
Cela reviendrait à dire « Donne tout mais pas trop ! », c’est un non sens fatal.
Psychologiquement, cet état de fait implique une grande confusion dans l’esprit des employés et une perte de sens.
Dans cette spirale négative, après la perte de repères, la perte de légitimité, on touche à la perte de sens, et ainsi on continue sur la pente glissante vers l’implosion.
La perte de sens est un des facteurs majeurs qui conduit un individu vers la dépression.
Qu’est ce que me rapporte ce que je fais ? Pourquoi est-ce que je travaille ?
La perte de sens entraîne une expérience vécue sous la contrainte par l’individu, suivi par une fatigue de plus en plus avancée.
Il y a de grande chance qu’à ce moment là, l’individu consulte son médecin généraliste, qui pourra lui prescrire de quoi affronter ce qui passera pour un petit coup de pompe, soit des compléments alimentaires, soit la recommandation de prendre un peu de repos et éventuellement soit un court arrêt de travail.
A ce moment là, l’individu ne se rend pas compte qu’il est en danger, et que cette situation engendre encore d’avantage de vulnérabilité et le pousser encore plus vers une position de faiblesse.
C’est généralement à ce moment que son manager va accentuer la pression pour le pousser éventuellement à commettre ses premières fautes ou erreurs.
S’ajoutera à la perte de sens, un profond sentiment d’injustice.
Les premiers signes de la dépression apparaissent.
Dans l’intimité, la personne pourra craquer, avoir des crises de larmes, commencer à inquiéter ses proches et les signes seront de plus en plus visibles.
L’individu consultera à nouveau son médecin généraliste, pour lui exprimer à quel point il a le sentiment d’être proche du gouffre, qu’il ne trouve plus de solutions, qu’il a conscience d’être dans une impasse et qu’il ne trouve plus l’énergie pour se mettre en quête d’un nouvel emploi.
L’individu perd alors totalement sa confiance en soi et ne s’estime plus ou n’estime plus sa valeur sur le marché, ce qui l’amène à une situation personnelle plus inquiétante.
Le médecin généraliste arrêtera la personne au motif de dépression et lui prodiguera un traitement à base d’anxiolytiques et d’antidépresseurs.
L’inconvénient, c’est que le traitement médical ne suffit pas. Il doit se doubler d’un travail de fond sur soi-même pour rebondir.
Inévitablement, l’individu doit imaginer qu’il devra quitter cette situation et quitter cet emploi pour se repositionner ailleurs et dans un autre contexte.
Il est vraiment recommandé de consulter un psychologue ou un psychothérapeute pour travailler en profondeur sur sa fragilité.
On a trop souvent tendance à négliger ou sous-estimer les symptômes, et on ne sait pas à quel point le stress peut laminer la personnalité. C’est en cela que c’est un vrai phénomène sociologique.
Dans nos prochains articles, nous approfondirons les rapports entre harcelés et harceleurs dans l’entreprise, nous verrons en quoi certains profils sont plus susceptibles d’être « victimes » et d’autres « bourreaux ».
Au-delà de cette réflexion, les entreprises sont aujourd’hui organisées de telles façons qu’elles vont continuer bien malgré elles à engendrer ces situations conflictuelles. Il est impératif de prendre conscience de ce vrai phénomène de société , de le mesurer et de le prévenir.
Suren Topsy
Psychothérapeute